" Dans l'impitoyable compétition pour la conquête de la Meije, le Doigt de Dieu tient une place toute particulière. Sur la longue arête qui le relie au Grand pic de la Meije, il fut le premier sommet à avoir été gravi en 1870 par Miss Brevoort et son neveu Coolidge. C'est sur son versant méridional que la cordée du guide Victor Chaud traça en 1951 l'audacieuse Directe Sud, gravissant ainsi la dernière face vierge du massif. Quatre-vingts années séparent ces deux ascensions. L'histoire de la Meije, qui s'était ouverte au Doigt de Dieu, s'y concluait ainsi. Mais une histoire est-elle jamais finie ?  

Appelé Meije Centrale, le Doigt de Dieu est par son altitude le deuxième sommet du massif. De sa pointe qui avance de plusieurs mètres au dessus du vide, la vue est saisissante. On peut admirer l'arête du Promontoire où se déroule la très classique voie Normale du Grand Pic. C'est d'ici que Duhamel imagina une solution au passage devenu clé: la muraille de Castelnau. 

Au sommet, vous êtes au royaume du vide; seuls les chocards vont plus haut ... ou peut-être votre esprit ? " (Sommets des Ecrins - Les plus belles courses faciles - Editions Glénat)

 

Vie de guide
Par Guillaume Vallot

Fils d'un patron gantier, Albert Tobey n'était en rien prédestiné à la carrière de guide. Pourtant, il va devenir l'un des plus grands alpinistes de sa génération. En 1947, il est ainsi le premier à parvenir au sommet de la Meije. En compagnie de son ami Louis Berger, il va former l'une des cordées les plus redoutables de l'Oisans d'après-guerre. En compagnie de cet homme simple, presque oublié, nous en ravivons le souvenir...

3 août 1947, un homme surgit au sommet de la Meije. Sous d'incessantes chutes de pierres, il vient de gravir pour la première fois de l'histoire la face nord du Grand Pic.

12 juillet 1948, cinq heures du matin, un homme heureux laisse passer en tête son compagnon de cordée dans les derniers mètres de la face nord du Pic Gaspard. Offrant à son ami Loulou sa face nord, il cèle le lien puissant d'une amitié sans faille.

Novembre 1996, un vieil homme paraplégique de 84 ans arrive en chaise roulante à la soirée "Trois de la Meije" organisée par la ville de Fontaine. Pendant deux heures, cet homme va passionner et faire rire une salle comble, ravie. Sur son visage, le sourire large que laisse une vie entière de bonheur. Ces trois personnages ne font qu'un. Il s'agit d'Albert Tobey.

Il y a cinquante ans grand alpiniste, Albert Tobey lègue aujourd'hui aux jeunes générations un fabuleux morceau d'histoire : le pilier Tobey à Chamechaude en Chartreuse, le fameux Z direct à la Meije, les faces nord du pic Gaspard et du Pavé. Dans son autobiographie, Vie de Guide*, il nous adresse un message de joie et d'amour mais également une leçon de courage et de vie. « Ne vous attendez pas à trouver dans mon livre les exploits d'un grand guide, mais la vie d'un montagnard sportif grenoblois" prévient Albert en guise d'introduction. Le ton est donné. A cette époque, pour ces hommes de l'Oisans, « la montagne fait partie des éléments où la tricherie n'a pas de place ».

Les débuts :

C'est sur un gros peuplier tronqué que le jeune Tobey a commencé à grimper en 1921, sur le chemin de l'école. « C'était notre premier mur d'escalade », se souvient-il. Il a six ans. Adolescent, il quitte l'école pour prêter main forte à son père, « petit patron » gantier. Albert suit la voie paternelle, docilement mais sans passion. La liberté du travail indépendant donne à Albert les loisirs dont il a besoin. Les montagnes qui sont là, tout autour de la maison paternelle, lui offrent un terrain de jeu à la hauteur de son appétit, immense. C'est avec la société des Grimpeurs des Alpes qu'il réalise ses premières escalades : le Néron en Chartreuse, l'aiguille de Quaix (les mêmes sommets qui virent débuter Lionel Terray). Les ascensions obéissent alors à un schéma très strict du ! genr e « les anciens devant, les jeunes derrière ». Cet ordre apparent masque le flou qui règne sur les règles réelles de sécurité. Albert Tobey se souvient : « Ma seconde course a été le Mt Aiguille. C'était une collective, avec un commissaire de course. Les gens marchaient par ordre d'ancienneté, les anciens et les plus expérimentés devant, les jeunes derrière... j'en étais. Comme on était une vingtaine, mon compagnon de cordée m'a proposé d'éviter la voie normale, encombrée, et d'aller faire Les Tubulaires, une voie beaucoup plus dure. Mais le bonhomme n'a pas été capable de franchir le premier passage. Alors j'ai essayé, je suis passé et je suis resté en tête pour toute la course... J'étais un jeune loup à l'époque, j'avais 16 ans. Le problème, c'est que j'é! tais devant et que je n'avais qu'une idée très approximative de ce qu'il fallait faire pour assurer mes seconds ! » C'est aux Grimpeurs des Alpes que Tobey et "Loulou", Louis Berger, se rencontrent. Les deux gaillards marchent bien. Assez vite, ils se lassent de ces e ncombrantes collectives et volent de leurs propres ailes. Ils partent seuls, pour des courses faciles, comme le pic nord des Cavales par exemple. Ils sont inexpérimentés mais apprennent vite. Le principal problème, c'est le matériel. Ni l'un ni l'autre n'ont les moyens de s'équiper. Il faut en permanence bricoler, se débrouiller... avec parfois quelques surprises. « On louait des cordes à Grenoble dans un magasin de couronnes mortuaires dont le patron était un grimpeur. Ces cordes était usagées et peu solides... Æa mettait une ambiance funéraire à la course, en somme. A l'époque, on pensait qu'en étant encordés, on était préservés. En fait, ces cordes en chanvre, ça servait à rien sinon de se faire zigouiller à plusieurs ! »

* Albert Tobey, Vie de guide, Editions Alzieu, 1996, 18 rue Chenoise, 38000 Grenoble.

 

La grande classique
L’histoire de la Meije laisse une trace lumineuse dans le ciel d'Oisans. Le parcours de ses arêtes haut perchées reste une étape initiatique dans une vie d'alpiniste.

Avec 3 982 mètres, la Meije manque de peu la cote 4000 qui estampille l'aristocratie des Alpes. Celle qu'on appela la « Grande Difficile » compense largement ce court handicap par les défenses qu'elle opposa aux pionniers du Haut-Dauphiné. Son histoire laisse une trace lumineuse dans le ciel d'Oisans. Le parcours de ses arêtes haut perchées reste une étape initiatique dans une vie d'alpiniste.

 

 

HAUT LIEU
Au pays de la Meije enchantée

« La Meije, c’est la Meije. On est tous là pour ça. » Agriculteurs ou jeunes freeriders, Faranchins ou Finlandais, guides ou créateurs : ils sont venus, ils sont tous là. Fidèles et fous d’elle. La haute Romanche est un archipel métissé, c’est leur Eldorado.

La haute Romanche abrite un archipel d’îlots habités entre deux mondes sauvages, le haut massif de la Meije au nord et le doux plateau d’Emparis au sud. De La Grave à Villar-d'Arêne, perchés entre 1 500 m et 1 700 m d’altitude, on respire à pleins poumons un air vif, celui du grand large. Ici se croisent des destins librement choisis où la magie du lieu, l’âme des villages, la présence d’une des plus belles montagnes des Alpes, la Meije, ont permis à certains de réaliser leur rêve, celui d’une vie différente, plus créative, plus libre, un peu à l’image de la glisse hors piste. Les randonneurs et alpinistes de passage qui aiment ces montagnes partagent avec eux cette connivence avec le lieu. Depuis quelques années, l’extraordinaire ski hors-piste dans les Vallons de la Meije a rajeuni le visage de la haute Romanche, aujourd’hui connu des "freeriders" du monde entier. Le succès international n’a pas pour le moment terni l’image rustique et authentique du pays. Mais La Grave et son canton ne sont plus seulement une "Mecque" de l’alpinisme en été et quelques hameaux endormis le reste de l’année. Le téléphérique qui avait fait couler tant d’encre lors de sa création, il y a plus de vingt ans, et qui visait sans doute davantage la saison d’été, fait vivre le pays en hiver et permet à vingt-cinq guides de travailler toute l’année. La population est plutôt à la hausse. Certains villages attirent davantage de suffrages que d’autres, comme les Hières, presque désert il a trente ans et qui compte aujourd’hui près de 80 habitants.

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Dans l'impitoyable compétition pour la conquête de la Meije, le Doigt de Dieu tient une place toute particulière. Sur la longue arête qui le relie au Grand pic de la Meije, il fut le premier sommet à avoir été gravi en 1870 par Miss Brevoort et son neveu Coolidge. C'est sur son versant méridional que la cordée du guide Victor Chaud traça en 1951 l'audacieuse Directe Sud, gravissant ainsi la dernière face vierge du massif. Quatre-vingts années séparent ces deux ascensions. L'histoire de la Meije, qui s'était ouverte au Doigt de Dieu, s'y concluait ainsi. Mais une histoire est-elle jamais finie ? 
 

Appelé Meije Centrale, le Doigt de Dieu est par son altitude le deuxième sommet du massif. De sa pointe qui avance de plusieurs mètres au dessus du vide, la vue est saisissante. On peut admirer l'arête du Promontoire où se déroule la très classique voie Normale du Grand Pic. C'est d'ici que Duhamel imagina une solution au passage devenu clé: la muraille de Castelnau. 

Au sommet, vous êtes au royaume du vide; seuls les chocards vont plus haut ... ou peut-être votre esprit ? " (Sommets des Ecrins - Les plus belles courses faciles - Editions Glénat)

 

Vie de guide
Par Guillaume Vallot

Fils d'un patron gantier, Albert Tobey n'était en rien prédestiné à la carrière de guide. Pourtant, il va devenir l'un des plus grands alpinistes de sa génération. En 1947, il est ainsi le premier à parvenir au sommet de la Meije. En compagnie de son ami Louis Berger, il va former l'une des cordées les plus redoutables de l'Oisans d'après-guerre. En compagnie de cet homme simple, presque oublié, nous en ravivons le souvenir...

3 août 1947, un homme surgit au sommet de la Meije. Sous d'incessantes chutes de pierres, il vient de gravir pour la première fois de l'histoire la face nord du Grand Pic.

12 juillet 1948, cinq heures du matin, un homme heureux laisse passer en tête son compagnon de cordée dans les derniers mètres de la face nord du Pic Gaspard. Offrant à son ami Loulou sa face nord, il cèle le lien puissant d'une amitié sans faille.

Novembre 1996, un vieil homme paraplégique de 84 ans arrive en chaise roulante à la soirée "Trois de la Meije" organisée par la ville de Fontaine. Pendant deux heures, cet homme va passionner et faire rire une salle comble, ravie. Sur son visage, le sourire large que laisse une vie entière de bonheur. Ces trois personnages ne font qu'un. Il s'agit d'Albert Tobey.

Il y a cinquante ans grand alpiniste, Albert Tobey lègue aujourd'hui aux jeunes générations un fabuleux morceau d'histoire : le pilier Tobey à Chamechaude en Chartreuse, le fameux Z direct à la Meije, les faces nord du pic Gaspard et du Pavé. Dans son autobiographie, Vie de Guide*, il nous adresse un message de joie et d'amour mais également une leçon de courage et de vie. « Ne vous attendez pas à trouver dans mon livre les exploits d'un grand guide, mais la vie d'un montagnard sportif grenoblois" prévient Albert en guise d'introduction. Le ton est donné. A cette époque, pour ces hommes de l'Oisans, « la montagne fait partie des éléments où la tricherie n'a pas de place ».

Les débuts :

C'est sur un gros peuplier tronqué que le jeune Tobey a commencé à grimper en 1921, sur le chemin de l'école. « C'était notre premier mur d'escalade », se souvient-il. Il a six ans. Adolescent, il quitte l'école pour prêter main forte à son père, « petit patron » gantier. Albert suit la voie paternelle, docilement mais sans passion. La liberté du travail indépendant donne à Albert les loisirs dont il a besoin. Les montagnes qui sont là, tout autour de la maison paternelle, lui offrent un terrain de jeu à la hauteur de son appétit, immense. C'est avec la société des Grimpeurs des Alpes qu'il réalise ses premières escalades : le Néron en Chartreuse, l'aiguille de Quaix (les mêmes sommets qui virent débuter Lionel Terray). Les ascensions obéissent alors à un schéma très strict du ! genr e « les anciens devant, les jeunes derrière ». Cet ordre apparent masque le flou qui règne sur les règles réelles de sécurité. Albert Tobey se souvient : « Ma seconde course a été le Mt Aiguille. C'était une collective, avec un commissaire de course. Les gens marchaient par ordre d'ancienneté, les anciens et les plus expérimentés devant, les jeunes derrière... j'en étais. Comme on était une vingtaine, mon compagnon de cordée m'a proposé d'éviter la voie normale, encombrée, et d'aller faire Les Tubulaires, une voie beaucoup plus dure. Mais le bonhomme n'a pas été capable de franchir le premier passage. Alors j'ai essayé, je suis passé et je suis resté en tête pour toute la course... J'étais un jeune loup à l'époque, j'avais 16 ans. Le problème, c'est que j'é! tais devant et que je n'avais qu'une idée très approximative de ce qu'il fallait faire pour assurer mes seconds ! » C'est aux Grimpeurs des Alpes que Tobey et "Loulou", Louis Berger, se rencontrent. Les deux gaillards marchent bien. Assez vite, ils se lassent de ces e ncombrantes collectives et volent de leurs propres ailes. Ils partent seuls, pour des courses faciles, comme le pic nord des Cavales par exemple. Ils sont inexpérimentés mais apprennent vite. Le principal problème, c'est le matériel. Ni l'un ni l'autre n'ont les moyens de s'équiper. Il faut en permanence bricoler, se débrouiller... avec parfois quelques surprises. « On louait des cordes à Grenoble dans un magasin de couronnes mortuaires dont le patron était un grimpeur. Ces cordes était usagées et peu solides... Æa mettait une ambiance funéraire à la course, en somme. A l'époque, on pensait qu'en étant encordés, on était préservés. En fait, ces cordes en chanvre, ça servait à rien sinon de se faire zigouiller à plusieurs ! »

* Albert Tobey, Vie de guide, Editions Alzieu, 1996, 18 rue Chenoise, 38000 Grenoble.

 

La grande classique


L’histoire de la Meije laisse une trace lumineuse dans le ciel d'Oisans. Le parcours de ses arêtes haut perchées reste une étape initiatique dans une vie d'alpiniste.

Avec 3 982 mètres, la Meije manque de peu la cote 4000 qui estampille l'aristocratie des Alpes. Celle qu'on appela la « Grande Difficile » compense largement ce court handicap par les défenses qu'elle opposa aux pionniers du Haut-Dauphiné. Son histoire laisse une trace lumineuse dans le ciel d'Oisans. Le parcours de ses arêtes haut perchées reste une étape initiatique dans une vie d'alpiniste.

 

 

HAUT LIEU
Au pays de la Meije enchantée

« La Meije, c’est la Meije. On est tous là pour ça. » Agriculteurs ou jeunes freeriders, Faranchins ou Finlandais, guides ou créateurs : ils sont venus, ils sont tous là. Fidèles et fous d’elle. La haute Romanche est un archipel métissé, c’est leur Eldorado.

La haute Romanche abrite un archipel d’îlots habités entre deux mondes sauvages, le haut massif de la Meije au nord et le doux plateau d’Emparis au sud. De La Grave à Villar-d'Arêne, perchés entre 1 500 m et 1 700 m d’altitude, on respire à pleins poumons un air vif, celui du grand large. Ici se croisent des destins librement choisis où la magie du lieu, l’âme des villages, la présence d’une des plus belles montagnes des Alpes, la Meije, ont permis à certains de réaliser leur rêve, celui d’une vie différente, plus créative, plus libre, un peu à l’image de la glisse hors piste. Les randonneurs et alpinistes de passage qui aiment ces montagnes partagent avec eux cette connivence avec le lieu. Depuis quelques années, l’extraordinaire ski hors-piste dans les Vallons de la Meije a rajeuni le visage de la haute Romanche, aujourd’hui connu des "freeriders" du monde entier. Le succès international n’a pas pour le moment terni l’image rustique et authentique du pays. Mais La Grave et son canton ne sont plus seulement une "Mecque" de l’alpinisme en été et quelques hameaux endormis le reste de l’année. Le téléphérique qui avait fait couler tant d’encre lors de sa création, il y a plus de vingt ans, et qui visait sans doute davantage la saison d’été, fait vivre le pays en hiver et permet à vingt-cinq guides de travailler toute l’année. La population est plutôt à la hausse. Certains villages attirent davantage de suffrages que d’autres, comme les Hières, presque désert il a trente ans et qui compte aujourd’hui près de 80 habitants.